LA JOURNEE DU SILENCE. Halte feu rouge LE TEMPS    

Mon ami "La Cloche"

JOPIG et le Korrigan      

POESIE AU SQUARE.

la dinde de NANOU      
LE CLOU DORE . Le canard de CHARLOTTE      

LA SUPPLIQUE DU MENDIANT

LE CHIEN DEVOT      

 

              

                                                                         

                                                        

LA JOURNEE DU SILENCE.

 

En accord avec le Préfet, le Maire l'avait décrété ; l'avis était placardé partout. Tous les villageois le connaissaient et l'approuvaient. Chacun à sa façon l'avait préparée et s'apprêtait à passer un dimanche exceptionnel, car :

AVIS

LE DIMANCHE 5 AOUT 1992

de 14 H. à 17 H.

NOTRE VILLAGE SERA CELUI DU

S I L E N C E

Le Maire

 

 

Depuis plus d'un mois, tout le monde réfléchissait pour mieux combattre le bruit ce jour là.

Les élus s'étaient rassemblés à plusieurs reprises pour définir les éventuelles priorités de "bruits minima".

Ils avaient d'abord pensé aux pompiers, à l'ambulance. Eux seuls seraient habilités, en cas impérieux d'urgence, à conduire un engin à moteur. Leurs véhicules attendraient à l'extrémité nord du village, sur la route de la grande ville. Bien entendu,* pas de sirènes, d'ailleurs rendues inutiles par l'absence de circulation.

Comme avant les fêtes pascales, le curé devrait oublier ses cloches. Les eaux des fontaines seraient coupées pour la journée. De plus est, pétanque interdite ! (cruel sacrifice pour un dimanche après-midi...).

Le maître d'école avait poussé le zèle jusqu'à faire capturer un maximum de grillons et cigales qui avaient été relâchés près du vieux moulin à un kilomètre.

L'électricité serait coupée sur toute la commune pour éviter une malencontreuse mise en fonction d'un appareil électrique (par inadvertance ou programmation).

Chacun à son niveau avait arrêté une liste de précautions et de mesures.

Ainsi, pour mon appartement, j'avais noté :

- muselière pour le chien,

- arrêter le carillon,

- ne pas remonter les réveils,

-mettre hors circuit la chaise à bascule qui grince,

- huiler les gonds des fenêtres et de la porte d'entrée.

Le marchand de tapis et celui de pantoufles avaient ainsi épuisé leurs stocks.

L'enjeu était de taille, pensez plutôt :

La TELEVISION serait présente pour l'homologation du record : un village de 600 habitants sans un bruit pendant 3 heures ; au 20ème siècle !

Trois heures sans mixeurs, perceuses, tondeuses, tronçonneuses, radios, télévisions (récepteurs), chaînes stéréophoniques.

Trois heures sans lits qui grincent, chaises qui raclent, portes qui claquent !

Trois heures sans cris, aboiements, klaxons.

Ceci au coeur d'un village.

La France entière, en haleine, attendait de savoir si "L'EXPLOIT" était réalisable. En fait, les caméras attendaient les défaillances ... pour démontrer l'impossibilité de la tentative.

Pour éviter tout mouvement susceptible d'être bruyant, chacun avait prévu ce que j'ai appelé : un poste de "patience".

C'était pour certains la position horizontale, allongés sur leur lit (position interdite aux ronfleurs).

Pour d'autres, une chaise dans l'embrasure d'une fenêtre pour surveiller la rue. D'autres enfin, avaient choisi le pas de leur porte, assis sur les marches ou dans sur un siège de camping.

Personnellement, j'avais opté pour la fenêtre. Assis dans un fauteuil confortable, je pouvais voir de cet observatoire la rue piétonne et la place principale du village.

A 14 heures précises, lorsque retentit la sirène d'alerte déclenchée par le Maire en personne, j'étais PRET.

L'arrêt progressif du sifflement aigu laissa place à un silence lourd et pesant.

Le même silence que dans ces westerns où l'on aperçoit, dans des villages abandonnés par les chercheurs d'or, l'herbe folle rouler dans les rues désertes.

Mais nous, nous n'avions même pas la porte de saloon qui grince ni le chat qui miaule lugubrement en faisant choir un pot de fleurs.

Les premières minutes furent délicieuses et je pouvais voir des visages ravis, se délectant de ne rien entendre, ECOUTANT LE SILENCE.

Une demi-heure passée, je remarquais que beaucoup se frottaient instinctivement l'oreille, comme voulant s'assurer de la présence de leur organe de l'ouïe, rendu momentanément inutile.

Au bout d'une heure, l'extase du début avait pris fin. La position assise commençait à devenir pénible et beaucoup de personnes se levaient et s'asseyaient délicatement, comme dans un film au ralenti.

La demi-heure suivante, tout le monde s'observait. Sans doute pour se rassurer de n'être pas soudain tout seul, mais aussi pour dire à l'autre du regard : courage, il faut tenir, la moitié du temps est passée !

Car maintenant, la dégustation était terminée. Le temps commençait à devenir long. Les positions de "patience" de plus en plus dures à conserver.

Il était 16 h 30 quant l'événement se produisit.

Un énorme rat sortit de la cave du boulanger, traînant sa longue queue par terre. Il hésitait, ébloui par le soleil. Germaine, la boulangère, l'apercevant, réprima un hurlement de terreur, recula toute tremblante sur la pointe des pieds vers l'intérieur de son magasin.

Nous avions frôlé la catastrophe et j'en transpirais encore d'angoisse quand je m'aperçus que d'autres rats faisaient leur apparition ici et là.

Le silence les inquiétait... Ils sortaient.

Je voyais des yeux agrandis par l'horreur surveiller leurs déplacements. Une mère mit sa main droite sur la bouche de sa fille tandis que la gauche s'agitait désespérément pour effrayer le rongeur le plus proche.

Le curé, d’un geste théâtral, se mit à prier à genoux sur le porche de l'église.

Bien que sachant qu'ils ne pouvaient les détruire, car cela fût trop risqué, la plupart des hommes à l'extérieur s'étaient saisis doucement de l'objet le plus proche, prêts à combattre.

Les cinq dernières minutes nous donnèrent assurément une notion de l'éternité.

Quand, à 17 heures précises, le Maire hurla "C'est FINI !!", un formidable charivari se déclencha. Le boulanger et plusieurs hommes coururent « sus aux rats» qui disparurent à la seconde. Tout le monde criait, s'embrassait, tapait sur des casseroles ou des bassines. La place se noircissait de tous les participants, atteints d'une hystérie collective.

Un orchestre improvisé cracha ses décibels et tout le monde chanta et dansa, car cette nuit-là... personne ne put dormir dans le village et alentours !

 

 

 

Mon ami "La Cloche"

 

Le climat privilégié de la Côte d'Azur attire de plus en plus chaque année une sorte de touristes dont elle se passerait fort bien : les clochards.

Dans toutes les grandes villes, ils envahissent les squares, les parvis d'église et, sur le littoral, les plages.

Tous les maires unanimes s'avouent impuissants dans la lutte contre ce fléau. Ne pouvant légalement les refouler hors des cités, ils ne peuvent que soutenir l'effort des œuvres philanthropiques dévouées à leur réinsertion.

Certains de ces marginaux, réduits à la mendicité et au vagabondage par leur analphabétisme et la montée du chômage, y parviennent grâce à leur aide. Mais combien ?

Mon attention fut attirée par l'un d'entre eux à la sortie du supermarché proche de mon immeuble.

Malgré sa pénible condition, sa tenue et son comportement étaient empreints d'une certaine dignité. A la différence des autres, je ne le voyais jamais porter en poche l'éternel "litron de rouge".

Il ne réclamait la charité que par le biais d'une pancarte où figurait, écrit en fort belles lettres   : " CONNAISSEZ - VOUS LA FAIM  ?"

Lorsque je lui remis mon aumône pour la première fois, je sentis son regard me détailler d'une manière si profonde que j'en fus ému. J'avais le sentiment qu'il s'employait à deviner "qui" lui faisait la charité. Cette curiosité m'apparut comme une preuve d'intelligence et je décidai de l'aider. Mais comment ?

A l'époque, je débutais en poésie, écrivant comme la plupart des poètes des vers que personne ne lirait, sinon quelques initiés de mon entourage et ma proche famille. Aussi, me vint l'idée de mettre mon "talent" naissant à son service. J'écrivis une petite pièce que j'intitulai "La Supplique du Mendiant".

A présent que les règles de prosodie me sont devenues familières, je rougis un peu de son manque de rigueur. Que voulez-vous, je n'écrivais en ce temps-là qu'avec le coeur !

Le plus dur fut d'engager la conversation. Se demandant où je voulais en venir avec ma "feuille de chou", il m'interrogeait : "Tu es flic ou tu "crèches" à l'Armée du Salut ?"

Malgré sa méfiance, un dialogue s'instaura peu à peu. D'ailleurs, il me poussait sans vergogne si un "client" éventuel s'annonçait à la sortie du magasin.

Tout d'abord, il accepta quelques vêtements qu'il ne mit pas, alléguant "qu'on ne donne rien aux cloches trop bien fringuées". Il les mettrait plus tard, quand les siens seraient trop usés. En fait, il ne voyait en moi que "le pigeon" qui lui "filait dix balles" à chaque fois qu'il le croisait.

Si j'avais fait mes comptes, je me serais aperçu que j'en étais bien à deux cents francs quand il daigna enfin m'écouter. Sans doute par gratitude pour ma "payante" assiduité ! De plus, je vous l'ai dit, je le savais curieux. Je l'intriguais à présent.

Je lui lus donc mon "chef-d'œuvre" d'une voix mal assurée :

 

La Supplique du Mendiant

 

Braves gens qui passez

N'ayez les yeux baissés

Lorsque vous me croisez

A petits pas pressés.

Ma misère est bien grande

Pour réclamer offrande.

Si j'ai la main tendue

En lieu d'être pendu

C'est que j'ai foi en Dieu,

En un mot, je suis pieux.

Vous sortez de l'église

Où la table était mise

Allant votre foyer

En famille festoyer.

Moi je n'ai que le froid,

Le gel qui me broie

La chair et puis les os...

Je n'ai plus de sanglots.

Des cartons sont mon lit,

Les chiens mes seuls amis.

Je suis pourtant humain

J'ai deux pieds, j'ai deux mains,

Une âme qui reste pure

Malgré ce que j'endure.

Donnez menue monnaie

Sans honte ni regret.

Ouvrez donc vos goussets

Et JE POURRAI MANGER !

 

Je l'avais signé "UN HOMME". Je tenais à l'anonymat, surtout dans ce quartier qui était le mien. Il m'écouta attentivement et me répondit tout net :

"Que veux-tu que j'en foute ?"

J'expliquai mon idée. Nous entrions dans le mois de décembre. Les fidèles se pressaient devant l'église (plus pour admirer la magnifique crèche que par pure dévotion).

Je lui photocopiais le poème en une dizaine d'exemplaires, à lui de les vendre sous le porche à un prix que je fixai d'autorité à cinq francs. Ainsi, il échangeait quelque chose. Grâce à ce petit négoce, les "braves gens" ayant contre-partie de leur charité, devaient mettre plus facilement la main à leur porte-monnaie !

L'affaire fut si florissante que, dès le lendemain, il me guettait pour me demander d'autres photocopies. Je lui en remis dix autres en déclarant : "Ce sont les dernières".

Au supermarché existait une photocopieuse où, pour un franc, il avait une copie de l'original. Je lui en expliquai le fonctionnement, il s'en tira fort bien.

Une semaine passa. Il m'aborda de nouveau : "Ca marche, ton truc, mais m'faut des couleurs". Je me défaussai d'une boîte de feutres et fus le premier surpris quand un voisin me montra "l'œuvre d'art" qu'il avait achetée à un clochard.

Il savait dessiner ! Très bien dessiner !

Par ses coups de crayons, mon poème avait pris une valeur dont je restais subjugué !

J'allai le retrouver et m'aperçus aussitôt d'un changement dans sa personne. Revêtu de mes vieux vêtements, il ressemblait maintenant à un de ces artistes décontractés comme l'on en rencontre souvent au hasard des rues.

Je proposai qu'il me colorie contre rétribution un petit recueil que je venais d'achever. Il me rendit un travail admirable !

Son unique poème commençant à faire long feu, je lui offris une douzaine de pièces récentes et promis de renouveler son stock à sa demande.

J'avais trouvé le moyen de faire lire mes poèmes d'une façon que beaucoup d'autres m'auraient enviée !

Même la presse locale mit un reporter sur l'affaire. Un clochard peintre-poète ! Enfin quelque chose qui sortait des "crimes" et autres "faits divers" ordinaires !

Garçon honnête, il parla de moi dans son interview. Il ne connaissait ni mon nom, ni mon adresse. Aussi, je pus lire dans mon quotidien ces titres d'articles :

- Un généreux poète inconnu au secours de la cloche.

- Les vers remplacent les puces et nourrissent les pauvres de la paroisse.

Les journalistes sont perspicaces. Ils remontèrent jusqu'à moi. Mon premier recueil, illustré par mon nouvel ami, sortait de l'imprimerie. L'écho donné par la presse fit passer l'édition de deux cents à mille exemplaires.

La télévision même s'en mêla, m'obligeant à rejouer pour elle notre rencontre dès le début.

Le nouveau "peintre" prit le pas sur le poète.

Je m'éclipsai volontiers car je place au-dessus de tout ma tranquillité.

Mon ami "La Cloche" reçut de nombreuses sollicitations pour illustrer d'autres ouvrages et connut une certaine renommée.

Il y gagna un bon métier et dessine encore de temps à autre pour moi... gratuitement !

 

°

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POESIE AU SQUARE.

 

La vie moderne, ses tours et ses supermarchés écrasent sous le gigantisme, l'individu de notre fin de siècle.

Les relations de voisinage se réduisent à un simple "bonjour-bonsoir" dans un ascenseur ou une entrée protégée par un ouvre-porte.

Les personnes âgées se tournent vers les animaux de compagnie pour retrouver la présence, voire l'affection qui leur manque.

De même, les enfants n'ont plus d'aires de jeux près du foyer familial. Les cours et les places sont transformées en parkings ; la rue de tous les dangers et ses trottoirs de plus en plus étroits, leur sont interdits.

Ainsi, le seul endroit où tout ce petit monde se réunit est le jardin public.

Tout en promenant leur chien, les personnes seules s'y retrouvent sur des bancs où s'échangent les derniers potins et les bulletins de santé.

Souvent, elles surveillent aussi le petit dernier qui pédale dans les allées ou use son pantalon sur un toboggan.

Dans le square jouxtant ma résidence, chassé de chez lui par des parents indignes, un jeune homme y trouva refuge. Une chaîne de solidarité s'instaura. Chacun à tour de rôle le nourrissait, l'habillait. La nuit, il dormait dans une petite cabane construite pour apprendre aux enfants à grimper. Il vécut ainsi plusieurs mois, moins délaissé par la vie, jusqu'à son appel sous les drapeaux.

Je fréquentais ce jardin assez régulièrement, car j'y rencontrais un ami poète. Sous la ramure nous échangions nos impressions sur nos lectures, nous corrigions mutuellement nos derniers vers.

Bien souvent, l'incertitude d'une diphtongue, d'une forme fixe, nous lançait dans une discussion où le temps s'arrêtait et que les cris d'enfants et les bagarres de chiens n'arrivaient pas à troubler.

Deux ans après, tout au début des vacances scolaires d'été, désireux de connaître l'avis de mon ami "Antoine", j'avais entrepris de déclamer à haute voix mon dernier "chef-d'oeuvre".

A ma grande surprise, un enfant de sept, huit ans s'approcha et s'accroupit près de moi, la bouche grande ouverte. Je finissais de lire et le regardant, sans même avoir à le questionner, j'eus son avis : "c'est plusse beau qu'à l'école", "tu m'en liras un autre demain, dis ? J'aimais sa spontanéité.

Le soir même et spécialement à son intention, j'écrivais un petit rondel dont je fis des photocopies.

A l'heure convenue, il était là, m'attendant avec plusieurs copains de son école. Tous étaient impatients d'entendre réciter une oeuvre du "grand poète". Antoine aussi était présent, curieux et enthousiaste de ce petit succès improvisé.

Nous déclamâmes avec émotion, remettant nos copies aux enfants intéressés et ravis. Ils se mirent à lire à leur tour en imitant nos intonations et nos gestes.

Je devais m'absenter pour une semaine. Il me fallut m'engager à préparer

"une bel-le ré-ci-ta-tion" à lire dès mon retour.

 

Je promis, persuadé que cet engouement soudain pour la poésie serait passé d'ici-là mais déjà bien heureux d'avoir pu le provoquer.

A mon retour, fidèles, ils nous attendaient ! Ils vinrent même nous accueillir à la porte du jardin. Le groupe s'était agrandi, sans doute les frères et soeurs plus âgés.

Heureusement, ma Muse avait été prodigue pendant cette semaine d'absence. Le gosse m'avait inspiré. J'avais écrit cinq poèmes courts et amusants, destinés à la jeunesse (quel hasard me direz-vous !) Eh oui ! pendant les sept jours, je n'avais cessé de ressasser cette image émouvante des enfants émerveillés par la magie des mots et ravis de découvrir un poète en chair et en os !

J'étais ému. Pour mieux me faire entendre, telle une vedette, je dus monter sur un muretin. Dès les premiers vers, j'eus l'impression que même les oiseaux s'étaient tus pour m'écouter. Non loin de nous, des adultes s'arrêtèrent intrigués... Certains se rapprochèrent et dès la fin de mon premier poème fusa une salve spontanée d'applaudissements.

Je connus alors un instant de douce griserie. Une joie pure que ne peut révéler une réunion de poètes où la seule politesse commande d'applaudir, faussant toute valeur d'appréciation.

Le message poétique passait...

Les séances se renouvelèrent tout l'été. J'avais volontairement fixé nos rendez-vous au samedi matin. Ainsi, j'évitais une saturation de nos auditeurs et nous ne perturbions pas trop la promenade des habitués du jardin. Tout le monde ne nous écoutait pas, loin de là !

Pourtant, fait étrange, beaucoup tendaient une oreille complaisante à ma voix un samedi ou l'autre.

Comme je suis adhérent à une association de poètes, j'en ai informé mes compagnons de plume, lors de la réunion : tous volontaires ! Bien sûr !

Pour quoi ? Mais pour déclamer au jardin ! Depuis, nous assurons une sorte de permanence au square. Le bouche à oreille, aidé d'un petit article dans la presse locale, déplace chaque week-end, un public curieux de ce spectacle gratuit.

Quant au petit bonhomme, source de ce bénéfique échange, il vient tout juste de m'apporter son premier poème.

Faites-moi donc penser un jour, à lui apprendre les règles de la prosodie...

Dans cinq ou six ans bien sûr, s'il persiste ! Car, pour l'instant le cœur et l'âme d'un poète en herbe lui suffiront bien pour vous enchanter !

Voyez plutôt :

"Gros bisous

Mon poète

Tes vers doux

Sont très chouettes

Tout le jardin

T'aime bien".

°

° °

 

LE CLOU DORE .

(conte )

 

Je suis né au 18ème siècle sous le règne de Louis XV "le bien aimé", dans notre beau royaume de FRANCE.

Qui suis-je ? ou plutôt qui étais-je ?

Un beau clou doré planté pour sa première fonction dans un luxueux tabouret recouvert de velours.

Tout au long des journées me frôlaient les frous-frous de dames de la haute société jouant du clavecin.

Une vie de rêve qui dura des années jusqu'au jour où, malencontreuse idée, je commis l'erreur de saillir un peu de mon trou pour observer plus à mon aise.

Mal m'en prit ! Une robe m'accrocha et se déchira au grand dam de ma maîtresse qui me fit sur le champ arracher par un domestique.

Il me trouva si joli qu'il décida de me garder dans un petit pot de terre où je restai emprisonné jusqu'à ce que son fils aîné, attiré par ma beauté, décide de m'utiliser.

Il était amoureux d'"une petite blanchisseuse et n'osait lui déclarer sa flamme. Connaissant un petit bosquet fleuri où elle aimait à se retirer après ses longues journées de travail, il écrivit sur une feuille entre deux coeurs entrelacés "à MARIE pour la vie". Je servis donc à épingler ce billet d'amoureux sur le tronc d'une jeune chêne.

Je devenais le messager de l'Amour.

Malheureusement, une grosse cuisinière qui sentait l'ail et le suif passa par là. Sans hésitation, elle me confisqua, laissant choir sous la futaie le doux billet qui disparut.

J'étais depuis bien longtemps dans le fond de sa poche quand elle se décida à laver sa robe. Je tombai alors au fond du lavoir, du lavoir au ruisseau, roulant jusqu'à la rivière où un gentilhomme me ramassa sur la rive, m'ayant pris, de prime abord, pour une pépite d'or.

Déçu, il m'essuya et me rangea un peu plus tard dans le tiroir secret d'un petit secrétaire. De rage d'être une fois de plus écarté de la lumière, je le piquai violemment ; une goutte de sang perla sur un paquet de lettres soigneusement ficelé.

Il aurait dû crier, me jeter loin de lui ! Pensez-vous ! Il referma le tiroir et je restai dans l'ombre un nombre d'années qui doit se chiffrer par dizaines !

Que fis-je ? Je dormis, que pouvais-je faire d'autre ? A part dormir et attendre...

Le 19ème siècle était bien avancé lorsque je me réveillai chez un antiquaire.

Il s'empara des lettres qui, à ses dires, avaient une grande valeur historique. La tache de sang le laissait perplexe et, si j'avais pu parler, peut-être m'eut-il mieux considéré : car il me dédaigna et me renferma !

Pas pour longtemps cette fois. Le secrétaire fut vendu le lendemain et c'est un jeune garçon, aussi curieux qu'espiègle, qui me trouva.

Ma vue lui donna l'idée d'une malice. Il m'emmena à l'école communale où il me planta au travers du raphia de la chaise de sa maîtresse.

Mon contact arracha à cette dernière un cri de douleur qui amusa un tantinet la marmaille, à cette époque où l'on ne badinait pas encore avec l'autorité du corps enseignant.

Incapable de soupçonner une mauvaise farce d'un élève, elle retourna la chaise, m'extirpa et me mit dans son sac sans plus de commentaires.

Je servis pendant longtemps au tableau d'affichage de la classe et c'est là, retenant dessins et circulaires, que je connus mes premières vibrations sentimentales.

Elle était magnifique, cette petite punaise enrobée de rose, et je ne perdais pas une occasion de briller de tout mon éclat pour lui plaire.

Quand le hasard nous rapprochait étroitement, je priais Saint-Clou pour que ce soit un affichage annuel.

Le temps s'écoulait agréablement. Je devais à ma prestance le fait d'être conservé (seul clou) au milieu d'un joli lot de punaises, ce qui rendait parfois ma jolie "Rose" fort jalouse.

Malheureusement, après une réfection de l'établissement, tout fut remis à nouveau en question.

Je commençais à compter mes premières rayures blanches. Le concierge me jeta dans une boîte en fer où, miracle ! se trouvait déjà ma punaise préférée.

Imaginez notre joie ! Les siècles pouvaient passer ! Nous étions ensemble étroitement enlacés !

En fait, l'oubli total nous frappa jusqu'au milieu du 20ème siècle. Par chance, la boîte était hermétique et entreposée dans un endroit sec et tempéré.

Quand je revis le jour, séparé de ma dulcinée, j'avais bien quelques discrets points de rouille, mais ma pointe se trouvait toujours aussi acérée.

Bon pour le service en temps de guerre !

Un maquisard m'avait récupéré et je fis de la résistance active, planté profondément dans le pneu d'une voiture S.S. Un gradé vêtu de noir m'arrachait, jurant dans la langue de GOETHE après tous les clous de la terre. Il me mettait dans sa poche quand une mitraille le "CLOUA" au sol.

Peu après, je me retrouvai sur la semelle d'une chaussure cloutée, si j'ose dire, comme chef d'une section ennemie. Il ne me fallut pas longtemps, croyez-moi, pour que je transperce le cuir et pique au vif le pied de l'individu. Moi, collaborateur ?

M'avait-il bien regardé ?

C'est dans le fossé d'une route nationale que me trouva mon dernier propriétaire, un jeune cantonnier.

Depuis, dans sa maisonnette, je soutiens vaillamment l'encadrement de la photo de sa regrettée épouse.

Elle est morte pendant les bombardements de la dernière guerre, à la veille de la libération.

Il nous regarde souvent, versant parfois une larme discrète, et je ne peux m'empêcher de penser à mon grand Amour perdu,

à ma jolie "punaise rose".

 

HALTE   ! FEU   ROUGE   !

 

 

 

"OLLLLEEEEE !!!"

 

Une fois de plus, Monsieur PICHERU esquisse une passe de toréador pour éviter une automobile qui charge au rouge !

 

C'en est trop ! La circulation piétonne est devenue impossible en ville ; la lutte contre les "brûleurs de feux rouges" une question de survie.

 

Songeur, il achève de traverser la chaussée et s'arrête à l'aplomb du feu qui passe au vert...

 

Sans savoir pourquoi, Monsieur PICHERU attend là, le regard courroucé et scrutateur.

 

Avec sa casquette marine et sa chemise azur, il pourrait vaguement ressembler à un militaire.

 

Machinalement, il sort de sa poche un petit agenda qui ne le quitte pas.

 

"Sainte GENEVIEVE, 3 janvier", il note :

 

A brûlé le feu rouge, rond point Bonaparte à 18 h :  ...

 

Le feu est redevenu rouge, mais l'ignorant, une petite 2 C.V. blanche le brûle tout doucement.

 

Dans un état second, il relève son numéro d'immatriculation : 22 KC 83.

 

Surpris, le conducteur qui l'a vu dans son rétroviseur s'arrête en catastrophe 10 mètres plus loin et vient à lui, l'air apeuré :

 

"Excusez-moi, je n'ai pas vu le feu, je vous promets de ne plus recommencer..."

 

- "bon, bon, ça va, circulez..." grommelle Monsieur PICHERU cachant son étonnement sous un masque impassible.

 

Pourtant, dès le départ du véhicule, un petit sourire narquois apparaît sur ses lèvres :

 

La voilà l'idée qu'il espérait !

 

Monsieur PICHERU en parla, en parla et en reparla au foyer des anciens du quartier puis à celui des retraités militaires.

 

Il trouva vite une cinquantaine de volontaires pour se relayer par groupe de trois ou quatre afin de se poster aux carrefours les plus importants de la ville.

 

Ils se vêtiraient tous de façon analogue, celle de Monsieur PICHERU ce fameux 3 janvier, et noteraient les numéros des contrevenants.

 

Certains se proposèrent même de filmer car l'idée était des plus simples : recommencer comme avec la 2 C.V., faire peur et dissuader les chauffards de récidiver. Malgré le froid, tous furent en place à la mi-janvier. Le travail ne manquait pas et bientôt ils eurent toute une collection de numéros du département pour la plupart, car vu l'époque de l'année les touristes se faisaient rares.

 

Pourtant l'effet "peur du gendarme'" ne marchait pas. Au lieu de s'arrêter, les voitures en infraction accéléraient et les automobilistes s'habituaient à voir ces "petits vieux" qui jouaient aux gendarmes. Certains même les klaxonnaient au passage en riant ou en effectuant à leur encontre des geste déplacés qui les rendaient furieux, d'autant plus qu'ils étaient impuissants à sévir.

 

Le nombre de numéros d'immatriculation relevés fut bientôt si important que, pour le gérer, Monsieur PICHERU dût faire appel à son petit-fils qui possédait un ordinateur. Quand tout fut sur la disquette, ils s'aperçurent que beaucoup de numéros figuraient plusieurs fois, brûlant le feu au même endroit de leur parcours quotidien. Ils pouvaient faire ressortir les recordmens par rond point ! Ainsi, le mardi suivant, à la une d'un journal de petites annonces à large distribution apparut sur une demi-page cet encadré :

 

 

 

Record  de

 

                ronds points :

Bonaparte

 

 

 

Bir Hakeim

 

 

Bazeilles

 

 

Beaurencontre

 

 

   

 

      signé :   L'association

 

 

brûlage

 

 

 

106 rouge 134

W83

Corsa noire 428 ZA 83

BMW verte 759TC83

Panda blanche 812 YA 83

 

 

     de sauvegarde  des piétons

 

               De feux

 

 

 

14fois

 

 

 

11fois

 

 

9 fois

 

 

7 fois

 

 

 

En effet, Monsieur PICHERU était à présent, depuis peu, Président d'une association - loi 1901 - pour la sauvegarde des piétons.

 

UNE   BOMBE   VENAIT   D' EXPLOSER  !

 

Le téléphone de l'association n'arrêta pas de sonner.

 

Tout le monde les prenaient au sérieux : les piétons, les automobilistes, les autorités.

 

Si le propriétaire de la PANDA ne se manifesta pas, les "INFRACTIONNISTES" (sic Monsieur PICHERU) des ronds points Bonaparte et Bir Hakeim les accablèrent d'injures et de menaces.

 

Le bureau fut assailli de candidatures de tous âges, beaucoup de chômeurs. Des personnes proposèrent des dons. Si certains le faisaient d'un élan généreux, d'autres étaient plutôt motivés par la peur d'être sur la prochaine liste.

 

Les miliciens des feux rouges étaient maintenant reconnus et salués dans la rue. Les personnes âgées faisaient même parfois un détour pour passer par le rond point où la traversée était maintenant garantie "sans chauffard".

 

Mais le succès ne fut pleinement total que lorsque le conducteur de la BMW osa porter plainte pour diffamation : l'association devenait crédible !

 

L'affaire fut portée devant les tribunaux et suivie par la FRANCE entière. Monsieur PICHERU en personne faisait partie du groupe des trois miliciens ayant noté le numéro 759 TC 83. De plus, les premières infractions ayant été relevées tout au début de la mise en place du dispositif, ses deux compagnons (de chasse !) étaient alors en compagnie de leurs épouses, inquiètes de ce nouveau passe temps, ce qui portait les témoignages pour les trois premiers feux brûlés à cinq personnes !

 

Non seulement le chauffard fut débouté de sa plainte, mais il se retrouva à son tour appelé devant les tribunaux.

 

Condamnation : Retrait de permis de conduire et une somme rondelette à verser à l'association.

 

Du coup, de part toute la ville les feux furent respectés.

 

Au mois de mai, le Maire cita Monsieur PICHERU comme citoyen d'honneur de la ville et lui remit une médaille devant tous ses compagnons, rassemblés pour l'occasion (et pour une anchoïade !) dans la grande salle de la mairie.

 

C'est alors que l'on put entendre notre héros déclarer " c'est pas tout ça, les gars, il va falloir maintenant trouver une idée pour les "touristes-chauffards" qui ne vont pas tarder !"

 

 

 

 

 

JOPIG   ET   LE   KORRIGAN

 

La Bretagne mystérieuse préserve dans ses murs de granit un monde insolite de curieuses légendes. Le vent, dans un murmure, m'apporta de la lande l'histoire de ces amis que le hasard unit.

 

L'un s'appelait JOPIG. Fils de marin pêcheur, il arpentait les dunes les soirs de clair de lune. Chacun eût pu le voir, la tête dans les épaules, scruter sur le miroir géant de l'Atlantique, les silhouettes frêles des navires de passage. Sans doute rêvait-il de ces îles fleuries où, sur le sable chaud, des filles au corps bronzé se languissent d'aimer les marins étrangers.

 

L'autre était KORRIGAN. Petit gnome barbu,il ne s'entendait pas avec ses frères de race, toujours prêts à faire peur au passant esseulé. De plus, fait étrange, il se sentait poète et rendait grâces à Dieu, tandis que sa famille, à force d'espiègleries, frisait la diablerie.

 

JOPIG le découvrit un soir, à marée basse, rejeté par la mer glaciale de janvier. Son petit corps gisait sur le sable mouillé, pantelant, pitoyable, recroquevillé de froid.

 

Tout d'abord effrayé, JOPIG s'en approcha, cédant à un élan de son coeur généreux. Comme les Saint Bernard, il portait sur lui une gourde de rhum. Il en versa deux gouttes sur les lèvres brûlées par le sel marin : l'effet ne se fit pas attendre. Pour un KORRIGAN ne buvant que de l'eau, le rhum fait figure de violent stimulant. Notre lutin retrouva vite les couleurs de la vie. Quelques frictions et la chaleur d'un feu le remirent tout à fait d'aplomb.

 

Alors, il lui conta sa drôle de mésaventure :

 

- "Bien que par ma naissance enfant de la bruyère, j'ai moi aussi voulu parcourir les mers. A force de patience, j'avais apprivoisé dans une mer plus chaude un dauphin solitaire. Chevauchant sur son dos, je pus visiter de lointaines contrées que jamais KORRIGAN n'osa imaginer.

 

J'étais sur le retour au large de DOUARNENEZ quand je fus assailli par un flot de sirènes. Rieuses et enjouées, certaines m'appelaient ; d'autres me caressaient ; d'autres encore me poussèrent , faisant tant et si bien que je perdis l'équilibre.

 

Heureusement le dauphin, m'agrippant par la jambe, m'amena jusqu'ici, m'évitant l'esclavage doré de la ville d'IS.

 

JOPIG l'écoutait, les yeux écarquillés. Lui, il aurait volontiers succombé aux sirènes et suivi la "MORGANE" jusqu'au fond des abysses. Quand il apprit le sort des prisonniers, il changea vite d'avis.

 

- "La ville d'IS est une vaste prison d'où jamais aucun être vivant n'est revenu. Les hommes capturés y portent des entraves d'or ; au bout d'un certain temps, leur corps se couvre d'écailles. Alors, sans pitié, les sirènes les étripent et les donnent en pâture aux poissons."

 

Tandis qu'un nuage noir éclipsait la lune, JOPIG se sentit un frisson dans le dos. Il pris congé de son nouvel ami, lui donnant rendez-vous pour le lendemain au pied du vieux calvaire, au croisement de la grand'route et du "chemin des Dunes". La journée lui parut longue, le secret de cette rencontre bien lourd à garder. Longtemps avant l'heure fixée, il fut au rendez-vous. A minuit sonnant, comme prévu, le KORRIGAN arriva.

 

Dans la tête de JOPIG se pressaient mille questions. Il voulait tout savoir sur la vie des fées, des sorcières, des enchanteurs... Sur les pouvoirs magiques... Aussi fut-il étonné quand il s'entendit dire :

 

- "qui sont les KORRIGANS ?"

 

D'une voix de maître d'école, sûr de captiver son élève, le lutin se lança alors dans de longues explications :

 

- "Je dois d'abord te révéler que la race humaine n'est pas la première, dotée d'intelligence, à vivre sur la terre. Bien avant elle existait une civilisation terrienne, parvenue à un stade dévolution que vous n'atteindrez sans doute que dans un millier d'années (si nous ne vous aidons pas). Assurés qu'un séisme gigantesque allait bouleverser l'équilibre de la terre, ces habitants s'exilèrent sur une autre planète, dans une autre galaxie.

 

Nous sommes leurs descendants directs et conservons avec eux des relations privilégiées.

 

Ne t'es-tu jamais étonné des alignements de menhirs ? D'en découvrir un, tout seul, sur une dune isolée ? Ce sont des points de repère que nous avons mis en place pour faciliter leurs visites. Les dolmens, les roches remarquables (comme celle d'HUELGOAT) sont des points de surveillance d'où ils peuvent prévenir toute approche."

 

- "Mais", s'écria JOPIG, "Pourquoi ne prennent-ils pas contact avec les hommes ?"

 

- "Ils le feront, comme nous, quand ceux-ci auront enfin établi la paix universelle, le respect de l'animal et de la nature."

 

- "Alors, que viennent-ils faire ?"

 

- "Ils recherchent des végétaux et des minéraux n'existant pas dans leur planète d'asile. Les vertus de beaucoup d'entre eux sont d'ailleurs ignorées des humains. La moindre plante, la moindre feuille d'arbre a une utilité. Si les hommes le savaient, ils renonceraient sûrement à poursuivre le désastre écologique de ces décennies."

 

- "D'accord pour les extra-terrestres, mais vous, que faites-vous ?"

 

Le KORRIGAN lui répondit :

 

- "Comme je te l'ai dit, nous sommes leurs héritiers. Nous avons conservé intactes les possibilités intellectuelles de nos ancêtres. Toutes les parties de notre cerveau sont utilisées. Nous communiquons par télépathie, éludant de ce fait les barrières de langue, de distance, de degré d'intelligence.

 

Les animaux nous comprennent et nous entendons leurs appels, ce que tu nommes "pouvoirs magiques" n'est que l'application de sciences exactes.

 

Dans la nature, nous aidons les femelles en difficulté à mettre bas ; les graines sauvages à s'enfouir dans le sol. Nous dirigeons les pigeons, l'oisillon lors de son premier vol. Un tas de petits travaux qui étonnent souvent l'homme et lui semblent mystérieux.

 

Te souviens-tu de cette énorme courge dans ton jardin ? C'est le résultat de l'essai d'un nouvel engrais d'origine cosmique.

 

Nous l'essayons ça et là, au hasard des jardins (pour ne pas donner l'éveil), sur tous les légumes et les fruits.

 

Nous vous aidons aussi par l'intermédiaire des animaux : le chien qui hurle à la mort sans raison apparente ne fait que nous obéir. De même l'hirondelle qui vole bas avant la tempête. Leur concours nous permet d'éloigner de vos têtes de mauvais rayonnements inconnus de vos chercheurs actuellement."

 

Il parla pendant des heures, puis l'aube se leva sur un pâle soleil. Leurs rencontres se poursuivirent tous les soirs pendant une trop courte semaine.

 

JOPIG, qui d'ordinaire, avait toutes les peines du monde à soutenir une conversation ou à résoudre une équation, le comprenait sans difficulté. Il osa même demander des explications que le gnome trouva fort pertinentes.

 

Quelque chose le préoccupait. Le lutin le sut aussitôt par une transmission de pensée visualisée.

 

- "Tu es amoureux" dit-il en chantonnant, "d'une jolie fille bonde ! aux belles formes rondes ! Je te vois très heureux et ton coeur en émoi te laisse tout pantois !"

 

JOPIG l'avait rencontrée la veille au bal du village,et ne vivait plus que pour elle. Il avait peur que son amour ne soit pas partagé.

 

-"Rassure-toi. Elle languit de toi. Je l'appelle par télépathie... Elle m'écoute... La voici en chemin."

 

Sur ce, il s'éclipsa et la jeune fille arriva, guillerette, en avouant qu'un rêve lui avait commandé de venir. Ce qui se passa cette nuit-là, seul le grillon bavard le sut (et ceux qui le comprennent...).

 

Peu de temps après, les cloches d'une chapelle sonnèrent pour un grand mariage, et chose étonnante, ceci sans que le sacristain n'eut à tirer les cordes ! !

 

JOPIG vécut heureux auprès de son épouse tendre et attentionnée. Malheureusement, les femmes sont possessives. Elle refusa à son mari les sorties nocturnes, d'ailleurs injustifiées (il ne pouvait lui parler du KORRIGAN).

 

Néanmoins, il savait que son ami veillait sur son foyer et ne l'oublLe lundi suivant, il parut pourtant moins attentionné. iait pas, car chaque matin, il découvrait dans son jardin des légumes gigantesques.

 

La presse lui fit honneur. Les reportages lui donnèrent une relative richesse qu'il reconvertit en partie à la préservation de la nature et ... des beaux Mégalithes !

 

 

 

 

                                               LA DINDE DE NANOU.

                                        

 

 

Atteignant l'âge où les autres prennent leur retraite, NANOU vivait seule, sans avoir jamais travaillé... Si l'on veut... Du moins vis-à-vis de la sécurité sociale !

 

Elle avait perdu sa mère étant très jeune et, restée "fille", comme l'on dit au pays, elle s'était entièrement consacrée au service d'un grand invalide de guerre : son père.

 

Avec la mort de celui-ci, il y a cinq ans, disparaissait le dernier membre de sa famille et, par conséquent, les faibles ressources qui "faisaient bouillir la marmite".

 

Elle survivait dans cet ancien cabanon de chasse, cultivant les maigres légumes de sa soupe, cueillant, dans les vergers voisins, des fruits qu'elle entreposait délicatement dans une cavité creusée à même le sol sur un lit de paille.

 

En septembre, elle récoltait du raisin en coupant largement les branches de part et d'autre de chaque grappe, puis les suspendait aux solives, ce qui lui permettait de les déguster jusqu'à Noël.

 

Sa seule richesse : trois poules qui lui donnaient chacune en moyenne un oeuf tous les deux jours.

 

Pour tout le reste, elle vivait pratiquement de la charité publique ou de "petits services" que lui demandaient, plus par compassion que par réel besoin, ses voisins et les habitants du village, situé à cinq cents mètres de là.

 

Comme je le disais, sa seule richesse était trois poules qui picoraient le jour dans les champs environnants et rentraient le soir pour s'abriter et pondre dans une remise en ruine attenant à son domicile.

 

Aussi, chassait-elle violemment quiconque s'approchait de ses petits trésors pondeurs. Des enfants qui suivaient la rivière coulant juste à l'aplomb de la remise l'apprirent avec grand effroi quand ils la virent foncer sur eux, une badine à la main, hurlant et gesticulant comme une possédée du démon.

 

Ils décidèrent de se venger. Pas méchamment, mais...

 

Cette nuit là, tandis que NANOU dormait profondément quelques "cot cot cot" effrayés retentirent dans le poulailler....

 

En fait, il n'y a pas là grand mystère ni beaucoup de malice. Les gamins avaient à l'insu de leurs parents, fait une sortie nocturne pour ajouter un oeuf récemment pondu sous les plumes de ses poules.

 

Un oeuf, juste un peu plus gros, crème et tacheté de roux avec un petit message :

 

"Devine avec qui j'ai batifolé ? " Signé TA POULE

 

Le lendemain, quand NANOU découvrit la plaisanterie sa première idée fut de jeter l'oeuf intrus, mais sa curiosité (toute féminine) lui fit penser : "J'aimerais bien savoir de quel oiseau est cet oeuf là ! S'il est fécondé, je peux le savoir..."

 

Dans la grande et unique pièce de sa cabane, elle laissait allumée jour et nuit, durant la saison froide une cuisinière qui lui permettait de se chauffer, de cuisiner et même d'avoir une réserve d'eau chaude. Le bois mort ne manquait pas dans la forêt voisine ; à petit tirage sa consommation en était réduite.

 

Nantie de cette source de chaleur permanente, elle allait savoir... L'oeuf enveloppé de mousses sèches puis déposé dans une vieille boîte de chaussures, séjourna ainsi plusieurs semaines près du foyer à la température moyenne de 38° C, quand un midi NANOU entendit le petit bruit d'une coquille que l'on casse !

 

Un poussin naissait ! Elle l'aida en ôtant délicatement quelques morceaux, soulagée qu'il s'agisse d'un volatile (l'idée d'un crocodile l'avait un moment effleurée !)

 

Si, pour un poussin, la première apparition est la mère, NANOU ne le détrompa point par ses actes car elle s'occupa de cette minuscule boule de duvet comme une vraie mère poule.

 

Une vraie mère dinde, devrais-je dire car il s'agissait de ce genre de gallinacé qui, grâce à ses soins, grossit et forcit rapidement, ne la quittant pas d'une semelle, la suivant partout même lorsqu'elle s'aventurait au village.

 

Pour éviter toute incartade de sa "DINDETTE", comme elle l'avait baptisée, elle dut l'attacher comme un jeune chien.

 

Tout le village en fit des gorges chaudes quand elles apparurent pour la première fois, l'une tenant l'autre en laisse.

 

Les quolibets du genre "les deux dindes sont de sortie" et glou, glou, glou" "il est où le dindon de la farce ?" plurent sur leur passage.

 

Il en fallait plus pour ébranler la nature placide de NANOU. Par contre, elle s'aperçut que les petits cadeaux habituels, surtout les dons alimentaires se faisaient plus rares.

 

En effet, les gens pensaient :

 

-   si elle s'offre le luxe d'élever une dinde et de ne pas la manger c'est qu'elle n'est point si tant à plaindre !

 

-   qu'elle mange d'abord sa volaille et l'on verra après !

 

Cela dura tout le temps de L'AVENT et quelques jours avant Noël l'animosité vis-à-vis des "deux dindes" avait tellement empiré que NANOU (ayant même perçu des injures proférées sur leur passage) renonça à se rendre au village avec "DINDETTE".

 

Elle l'attacha à un pieu devant sa masure et, la mort dans l'âme, se rendit seule au village chercher du pain.

 

C'était le 23 décembre au soir. Le village illuminé préparait la fête de Noël.

 

Elle eut un pincement au coeur en se disant qu'une fois de plus ce jour serait pour elle un jour ordinaire. Pour tant cette petite amertume n'était rien à côté du déchirement de douleur qu'elle ressentit à son retour chez elle.

 

"DINDETTE" avait disparu !!

 

Elle chercha partout autour de la maison, dans le verger, descendit puis remonta le long de la rivière, appelant, criant, courant comme une folle, fouilla le moindre buisson jusqu'à l'obscurité totale sans résultat.

 

Après une nuit de cauchemars entrecoupés de pleurs, elle décida de pousser ses investigations chez les voisins, puis jusqu'au village :

 

-   "La dinde ? mais elle rôtit au four, avec les marrons et les morilles" lui répondait-on en riant, puis l'on enchaînait : "mais ce n'est pas la vôtre, elle est moins grasse, moins replète malheureusement. Celui qui lui a tordu le cou fera Réveillon et Jour de Noël avec elle !"

 

Chez le restaurateur, elle eut un haut le coeur à la vue de la poubelle : C'est lui, c'est sûr. - "Voilà les plumes de DINDETTE, je les reconnais !"

 

-   "Salaud, assassin !" criait-elle en tambourinant des deux poings sur sa fenêtre. - "Tu m'as tué DINDETTE !"

 

-   "Vieille folle" lui répondit-il tout en surveillant ses fourneaux, - "Les dindes, j'en ai six à cuire et c'est leurs plumes que tu vois dehors. Elles ont été tuées avant hier à l'abattage et je les ai déplumées moi-même. Demande la facture à la "Bourgeoise" si tu ne me crois pas" !

 

Eh oui ! c'était un jour béni pour les humains mais maudit pour la volaille, les dindes en particulier. Tout le village, ou presque pouvait être coupable.

 

Même ceux qui ne mangeaient pas de dinde ce soir-là pouvaient très bien l'avoir tuée et gardée pour le Premier du jour de l'an.

 

Quel destin cruel et tragique !

 

Il lui fallait faire son deuil de DINDETTE... Elle ne la reverrait plus jamais ! Jamais !!

 

Effondrée, NANOU regagna son logis, s'écroula sur le lit et, les nerfs relâchés s'endormit telle une masse.

 

L'aurore du 25 décembre portait à peine ses pâles premières lueurs quand elle perçut un bruit insolite qui la tira de son long sommeil.

 

Il provenait de derrière la cuisinière....

 

- "Un rat ?"

 

Non, DINDETTE qui réapparaissait !!

 

Elle s'était blottie dans la boîte à chaussures qui l'avait vu naître. A son cou pendait encore la cordelette avec laquelle elle l'avait attachée au pieu et dont le noeud avait dû se défaire.

 

La volaille la regarda de son oeil noir si vif, puis se leva en se balançant doucement :

 

Un oeuf ! DINDETTE lui avait fait un OEUF !

 

C'était vraiment Noël. NANOU n'avait jamais eu de si beau cadeau. Les larmes qu'elle versa encore furent, pour une fois depuis bien longtemps, des larmes de BONHEUR tandis que mille cloches carillonnaient dans sa tête.

 

 

 

 

 

LE CANARD AUX PRUNEAUX DE CHARLOTTE

 

 

 

 

 

Ma vieille voiture bringuebale sur la route mal carrossée. Cela fait déjà bien longtemps que je roule mais je ne suis plus très loin du but... un petit pont... "Château Vert !" C'est le dernier village avant BARJOLS, l'ancienne bourgade des tanneries.

 

Plus que de ses fortes odeurs, je me souviens de ses nombreuses fontaines, de la pêche aux écrevisses dans les ruisseaux et de la fête de la saint MARCEL, la fameuse fête des "tripettes" où un boeuf était sacrifié. Je me revois, lors de la procession, sautant, sautant sans m'essouffler même après que tout le monde se soit arrêté, ces trois ou quatre fois qu'il m'a été donné d'y assister.

 

Car cela remonte à bien loin dans le temps. Celui où toute ma famille passait le réveillon du 1er de l'an avec la nombreuse tribu des cousins et des cousines de BARJOLS chez la tante CHARLOTTE. Immanquablement, elle nous mitonnait sa fameuse recette du "canard aux pruneaux" dont seules les mamettes de chez nous ont encore le secret... qui laissait sur les papilles un moelleux, un fondant, un goût délicieux, et comme nous étions en Provence, figuraient au menu la pompe à l'huile et les treize desserts (du moins ce qu'il en restait) du Noël de la semaine d'avant. Nous ne nous en plaignions pas car la joie et la bonne humeur étaient de mise et comme disait si bien l'oncle HENRI : "Plus on est de fous, plus on rit ! " et pour être nombreux nous l'étions car nous frisions souvent les treize à table.

 

L'époux de la tante CHARLOTTE, était un félibre (poète provençal) et savait de plus jouer du galoubet et du tambourin. Aussi, chaque réveillon commençait, dans le silence quasi religieux d'un rite sacré, par des déclamations de poèmes.

 

D'abord, il se levait lentement, puis il prenait la pose les yeux dans le vague et la main sur le coeur. Il nous emportait alors dans des pays extraordinaires sur les ailes de la poésie. Emus, la larme à l'oeil, à peine revenus de ces voyages fleuris de beauté et de sérénité, la veillée finissait souvent par une joyeuse farandole dans l'herbe givrée du petit matin, à la suite de notre cher musicien.

 

Que  de souvenirs merveilleux remontent de ma mémoire au fur et à mesure que j'avance sur cette route verdoyante et sinueuse.

 

Un jour, la veille de la saint SYLVESTRE, j'avais accompagné mon oncle dans la grange pour assister à la mise à mort du canard. La pauvre bête, qu'il avait attrapée par les pattes, lançait des coins-coins désespérés. Tranquillement, posément, il lui avait posé la tête sur un billot de bois et : VLAN ! d'un coup de hache précis lui avait tranché le cou. Stupéfait, je vis la tête tomber d'un côté, le bec s'ouvrant et se fermant comme pour cancaner encore.

 

L'autre partie du corps s'arracha de la main de l'oncle et se mit à courir en décrivant un cercle autour du billot et il courait, et il courait encore et encore...

 

Il semblait ne pas vouloir s'arrêter. Même aujourd'hui je ressens l'effroi de cette horrible vision.

 

Je ne pourrai plus évoquer ce souvenir avec l'oncle HENRI car voilà dix années qu'il est décédé. Depuis, la tante CHARLOTTE a renoncé à nous réunir. Elle vit toujours au même endroit, en retrait du village, mais seule. "Elle est devenue un peu sauvage"  m'a dit ma mère qui sera là, elle aussi, demain.

 

L'aîné de mes cousins qui habite au village sera aussi présent. J'ai hâte de le revoir car nous avons fait les quatre cent coups ensemble. Il est connu de tous car c'est lui le facteur. C'est sans doute pour cela qu'il m'a écrit ! J'ai trouvé sa lettre dans ma boîte ce matin à mon départ. Elle est à côté de moi, dans ma sacoche. Je ne l'ai même pas ouverte. A quoi bon ? Dans cinq minutes je serai arrivé.

 

Après avoir déposé mes affaires chez la tante je ferai un saut jusqu'au bar de la grand'place, près de la mairie et je l'y trouverai sûrement occupé à siroter son petit "pastaga". Le rituel de midi dans le Midi ! avec la petite "kémia" d'olives pimentées ! J'en salive rien que d'y penser !

 

Voilà... LA ! L'intersection où je dois tourner. Je quitte la route pour prendre le petit chemin de terre qui mène à la fermette de la tante. L'émotion me gagne. Je roule très lentement car je reconnais le moindre rocher. Une fragrance de romarin envahit la voiture : Je suis bien...

 

 

 

Le toit de la bâtisse, la vieille grange, m'apparaissent en contrebas. Je gare la voiture doucement. Je vais poursuivre à pied pour mieux profiter des derniers instants.

 

Je marche sur un tapis de feuilles et de mousse. Tient voilà que je siffle "MAGALI" à présent. Curieux, ces arbres, ils semblent "lépreux" ? Certains ont l'écorce éclatée. Je vais en toucher un.

 

PAN ! qu'est ce que c'est ? La chasse doit être ouverte et l'endroit est sonore. Tout de même... PAN ! Pas de doute, il doit s'agir d'un chasseur de sanglier qui tire au jugé !

 

Je ne suis pas aussi poilu que je sache,  et je suis à découvert ici, hormis les arbres...

 

PAN ! PAN ! Deux coups presque simultanés viennent de frapper l'arbre voisin AIE ! Je viens de recevoir un bout de branche sur l'épaule. SALAUD ! Pas de doute, c'est moi que l'on vise. Les coups de feu proviennent de la porte entrebâillée chez la tante. Demi-tour ! Sauve qui peut ! C'est terrible... La pauvre vieille a dû être prise en otage par un filou, voire un assassin. J'ai peur. La mort est à mes trousses. La voiture... enfin... Contact PAN ! WROUM ! Ca y est, je démarre. Va-y fonce ! Voici BARJOLS, le tunnel, les anciennes tanneries, tiens la rue est en sens unique. J'espère que le cousin sera présent. Mon Dieu faites qu'il ait soif ! Qu'il ait envie d'olives ! pour l'instant c'est moi qui fait de l'huile... Ah ! voilà le bar. Il est là ! Ouf !

 

-    Bonjour cousin, viens vite, il se passe des choses terribles chez ta mère !

 

-    Eh, le cousin, t'es arrivé ? Te voilà bien excité ; viens donc trinquer, tu es tout en nage.

 

-    Mais tu ne comprends pas ! Je viens de chez ta mère où l'on m'a tiré dessus. Elle doit être séquestrée, prisonnière d'un sadique ou de plusieurs... voyous de grands chemins. Ils veulent peut être une rançon. Allons prévenir les gendarmes !

 

-    Cousin, regarde-moi dans les yeux. Tu n'as pas d'homme de lettres chez toi ?

 

-    Quoi :  homme de lettres ?

 

-    Oui, homme de lettres, préposé des postes, facteur quoi. Tu n'as pas reçu mon courrier ?

 

-    Si, ce matin avant de partir, mais je ne l'ai pas lu ; NOUS PERDONS DU TEMPS, LA !!!

 

-    Si tu l'avais lu, ce courrier, tu ne serais pas si fada. Je t'y expliquais que ma mère a peur depuis qu'elle est seulette. Qu'elle a une grande angoisse à vivre dans sa campagne. Qu'il y a cinq ans, des vagabonds lui ont volé des canards, et que depuis elle tire sur tout ce qui bouge et s'approche de chez elle sans prévenir. Heureusement, ou malheureusement, elle ne voit plus grand chose et ne reconnait personne de loin.

 

     C'est  pour cela que j'ai pris le temps de t'écrire pour te dire de la prévenir dès ton arrivée par TE-LE-PHONE !

 

-    Bon, j'ai compris. Je reviens de loin. OUF ! Paie moi un verre et téléphone lui que nous arrivons car je ne retournerai pas là-bas sans toi, pour tout l'or du monde !

 

     Quand j'y pense, j'ai bien failli ne pas voir le 3ème millénaire ! PUFFF !

 

     Je m'en souviendrai de cette nouvelle recette du canard aux pruneaux de la tante CHARLOTTE !

 

-    A propos, ménage maman, pour les pruneaux, je veux dire les coups de feu de tout à l'heure, c'était pas toi... Fais le canard !

 

-    TU  TE  FOUS  DE  MOI, DIS  BASTIEN ? !..

 

 

 

                       LE   CHIEN   DEVOT.

 

 

 

 

Cette touchante histoire me revient à l'esprit chaque fois que je vois un animal, (pourtant lui aussi créature du bon DIEU), repoussé bruyamment d'un saint lieu.

 

C'était en auvergne dans le village au fromage en renom : SAINT NECTAIRE, SAINT NECTAIRE le Haut, plus précisément. Dans la partie du village qui surplombe l'église romane du XIIème siècle. Haut lieu touristique, que visitent à présent tous les étés des milliers de touristes insatiables de vieilles pierres et de vestiges historiques.

 

A la mort de son mari, Madame CHAVAGNAC avait reçu de son fils unique un jeune épagneul breton : "PATAUD". Ce fils qui habitait PARIS, trop occupé par ses affaires, ne pouvait lui rendre visite et ne prenait de ses nouvelles que de manière épisodique.

 

Elle n'avait jamais su si c'était vraiment pour meubler sa solitude ou tout simplement pour s'en débarrasser qu'il lui avait apporté ce chiot.

 

Ce compagnon fidèle l'accompagnait tous les jours que DIEU fait, à 10 heures précises, jusqu'à l'église où elle priait pour son défunt époux pendant une demi-heure. Puis, elle remontait péniblement la grande rue à la pente si raide, s'approvisionnant tantôt à la boucherie, tantôt à la boulangerie où elle échangeait courtoisement les quelques banalités d'usage. Le chien attendait patiemment sur le seuil, ce qui faisait dire aux voisins qu'ils étaient aussi discrets l'un que l'autre.

 

Il avait 6 ans quand sa maîtresse mourut à son tour ; sans crier gare... Un malheur n'arrivant jamais seul, le fils se trouvait hospitalisé à l'époque pour un accident de la route. Il dût demander à un voisin de la défunte de s'occuper de faire les démarches nécessaires, en son nom, pour les  obsèques de sa mère.

 

Nourri par ce voisin, PATAUD garda la maison désormais vide, bien à l'abri dans sa niche douillette. Libre de toute chaîne, il continua de descendre tous les jours à 10 heures et d'espérer devant l'église. Il en repartait la demi-heure suivante.

 

Il n'était pas rare que le boucher, compatissant, lui donne un os bien juteux lors de sa remontée. Le curé, lui aussi, avait remarqué sa persévérance depuis longtemps...

 

Ce jour-là, comme chaque année, il allait célébrer une grand-messe à 10 heures, pour la fête du saint patron de la paroisse.

 

Tous les habitants, dévots ou pas, y assistaient par tradition.

 

Or, dès 8 heures un orage épouvantable éclata : vent, pluie, grêle, éclairs... Il y avait du MALIN  là-dessous !

 

A l'heure de l'office, le curé n'eut pas à compter ses ouailles. Seul le chien de Madame CHAVAGNAC  était présent, trempé, grelottant de froid et tremblant de peur, mais fidèle au souvenir.

 

Le saint homme, pris de pitié, lui ouvrit grande la porte pour l'abriter.

 

Bien que n'ayant jamais pénétré dans l'église PATAUD se dirigea tout droit vers la place où, depuis tant d'années, sa maîtresse s'était recueillie. Il s'assit sur son  arrière-train et, fixant l'autel, ne bougea plus.

 

"Il n'y a pas un chat, mais au moins ce chien !" grommela le curé qui, sans plus attendre, célébra l'Eucharistie.

 

 

 

 

 

 

Le lendemain, quelle ne fut pas la stupéfaction des bigotes en voyant le chien rentrer dans l'église et s'asseoir sur une chaise face à l'autel !

 

Ulcérées, elles allaient le chasser, quand, venu de la sacristie, le Père les arrêta : "laissez ce chien en paix. Désormais cette place sera la sienne. Il l'a bien méritée."

 

"Parfum de scandale" ou "simple curiosité", le lendemain une bonne partie du village ressentit le besoin de faire brûler un cierge dans la matinée,vers les 10 heures... pour voir l'impensable, l'inadmissible : un chien dans une église !

 

Le surlendemain, le curé fit un office supplémentaire à cette heure et en profita pour sermonner ses paroissiens :

 

"Il y a parfois plus d'amour dans le coeur d'une bête, plus d'abnégation, de fidélité que chez certaines créatures dites intelligentes !"

 

Ainsi SAINT NECTAIRE eut son CHIEN DEVOT.

 

Les gens accoururent de tous les environs pour le voir et tous les dimanches l'église fut pleine.

 

Nous ne sûmes jamais ce qu'en pensa l'évêque ; mais peut-on vraiment faire des reproches à un curé dont la paroisse compte plus de fidèles et dont les recettes décuplent ?

 

PATAUD demeura au village, recueilli et adopté par les nouveaux occupants de la maisonnette de feue Madame CHAVAGNAC. Il fut heureux.

 

Quand DIEU le rappela au paradis où il retrouva sûrement sa maîtresse bien aimée, sa dépouille eut droit à une bénédiction, un petit coin de terre et une pierre ainsi gravée :

 

 

 

 

 

 

Ci-git   PATAUD

 

le CHIEN DEVOT